Il est déjà midi passé. Dans un carré d’herbes hautes qui borde la mare du verger, une transformation spectaculaire est en train de s’opérer. Une créature a décidé de troquer sa vie aquatique contre une vie aérienne.
Son enveloppe aux allures de petit monstre se déchire, une forme apparaît après quelques soubresauts puis pendouille la tête en bas. Plusieurs minutes passent. Soudain, dans un effort fantastique, la bête se cambre et s’extirpe toute entière de sa vieille peau.
Immobile, l’insecte n’en est pourtant pas moins actif. Le sang qui circule dans son organisme dessine de nouveaux contours, alimentant chaque cellule et chaque nouvel organe. Des ailes se déploient, un long abdomen se déplie, d’énormes yeux à facette se colorent.
La créature poursuit sa métamorphose cachée parmi les boutons d’or et les rhinantes. Le moment est critique, son corps est mou et ses ailes flasques sont incapables d’assurer un premier vol. Il faut encore attendre.
Après une petite heure, l’insecte dévoile son identité: c’est une femelle d’Orthetrum réticulé, une libellule commune aux abords des mares. Bientôt, Madame s’élancera dans les airs pour trouver un endroit tranquille et éloigné de ses eaux natales. Objectif ? Entamer la dernière phase de son émergence : sécher et durcir son squelette externe à l’abri des regards et des prédateurs.
Seule, la vieille enveloppe abandonnée restera sur place, perchée dans les herbes folles, comme trace de cet extraordinaire passage entre deux mondes.