Chatouilles à la brouille

Petite séance pieds nus dans l’eau fraîche. Quel bonheur de remuer les orteils dans le lit de graviers de l’Aire, la rivière, quand le thermomètre affiche 30 °C. Sous la surface, le nuage naissant de brouille attire alors des bancs entiers de petits poissons.

Goujons au corps tacheté et vairons opportunistes, reconnaissables aux bandes sur les flancs, recherchent le moindre morceau de ver, d’insecte ou d’algue comestibles dans la masse de particules en suspension. Bientôt, de jeunes chevesnes se joignent au ballet aquatique. Ces poissons blancs possèdent des écailles dorsales surlignées de tons sombres d’où leurs surnoms de dos noir. Et tout ce petit monde vous chatouille les orteils ! Le phénomène est bien connu des pêcheurs en culotte courte qui pratiquent, en été, la pêche à la brouille.

L’envol brisé des libellules

Les larves de la plus grande libellule de notre mare, l’anax empereur, semblent toutes obéir au même mystérieux signal en ce moment.

Elles escaladent les tiges de roseaux massette pour opérer leur extraordinaire transformation.

Quelle idée ! Des rafales de vent soufflent à plus de 70 km/h depuis 3 ou 4 jours, le tout accompagné de violentes averses. Leur métamorphose est vouée à l’échec.

Bien que les libellules réussissent à s’extirper de leur enveloppe larvaire, le vent ballottent sans cesse leurs ailes encore molles et les abîme irrémédiablement. Les délicates membranes se collent, se froissent, se plient ou se chiffonnent puis finissent par durcir en l’état.

Les pauvres insectes se retrouvent coincés sur leur tige, incapables de prendre leur envol. Seule la promesse d’une vie aérienne s’est envolée.

La mare au fil des saisons

Depuis sa création en mars 2015, la mare du verger a bien évolué. C’est en la photographiant au cours des 12 derniers mois que ses différents aspects sautent aux yeux.
Mai 2020, la végétation a repris et le point d’eau grouille de vie.

Septembre 2020 : pour la 3ème année consécutive, une importante sécheresse sévit dans les Ardennes mais la mare tient bon. Elle n’a jamais été totalement à sec.

Janvier 2021, l’hiver pluvieux a permis de remplir à nouveau la mare. Une vague de froid venue du Nord gèle tout sur son passage.

Mars 2021, les giboulées continuent de remplir la mare. Quelle joie de s’attarder sur ses berges tout au long de l’année. Immanquablement, ces visites régulières font naître une curiosité enfantine, précieuse même, impatient que je suis de découvrir les secrets de ce merveilleux petit monde aquatique.

Immersion avec les tritons

Ouah ! Équipé de sa parure qui semble préhistorique, un mâle de triton crêté — le bien nommé — flotte entre deux eaux devant mon masque de plongée. Avec ses 18 cm de long, c’est le plus grand triton des mares de nos régions.

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Malgré ses allures de lézard, voire de dragon miniature, l’étrange bestiole fait partie de la famille des amphibiens et non des reptiles. Aucune écaille ne protège sa peau fragile. Quand il passe quelques mois en mode aquatique, Monsieur développe sa crête impressionnante. D’ailleurs, c’est le rôle de cet attribut en dents de scie: impressionner les femelles ou les concurrents. Bref, épater la galerie.

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Bientôt, l’animal sortira de l’eau pour vivre sur le plancher des vaches jusqu’à la prochaine saison des amours, au printemps prochain. Mais avant ça, les femelles, qui elles sont dépourvues de crête, doivent pondre leurs œufs sur les feuilles des plantes aquatiques pour assurer l’avenir de leur espèce.

Triton dans l'eau

Émergence: d’un monde à l’autre

Il est déjà midi passé. Dans un carré d’herbes hautes qui borde la mare du verger, une transformation spectaculaire est en train de s’opérer. Une créature a décidé de troquer sa vie aquatique contre une vie aérienne.

Métamorphose libellule - Orthétrum réticulé

Son enveloppe aux allures de petit monstre se déchire, une forme apparaît après quelques soubresauts puis pendouille la tête en bas. Plusieurs minutes passent. Soudain, dans un effort fantastique, la bête se cambre et s’extirpe toute entière de sa vieille peau.

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Immobile, l’insecte n’en est pourtant pas moins actif. Le sang qui circule dans son organisme dessine de nouveaux contours, alimentant chaque cellule et chaque nouvel organe. Des ailes se déploient, un long abdomen se déplie, d’énormes yeux à facette se colorent.

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La créature poursuit sa métamorphose cachée parmi les boutons d’or et les rhinantes. Le moment est critique, son corps est mou et ses ailes flasques sont incapables d’assurer un premier vol. Il faut encore attendre.

Métamorphose Orthetrum4-David Melbeck

Après une petite heure, l’insecte dévoile son identité: c’est une femelle d’Orthetrum réticulé, une libellule commune aux abords des mares. Bientôt, Madame s’élancera dans les airs pour trouver un endroit tranquille et éloigné de ses eaux natales. Objectif ? Entamer la dernière phase de son émergence : sécher et durcir son squelette externe à l’abri des regards et des prédateurs.

Métamorphose libellule - Orthétrum réticulé

Seule, la vieille enveloppe abandonnée restera sur place, perchée dans les herbes folles, comme trace de cet extraordinaire passage entre deux mondes.

 

Pontes de grenouilles vertes

La semaine dernière, les grenouilles vertes, plus nombreuses cette année, ont pondu dans la mare du verger. Leurs amas d’œufs semblent arrimés à la végétation (une touffe de joncs).

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Contrairement aux pontes de grenouilles rousses qui ont été déposées 2 mois plus tôt, celles-ci se délitent plus facilement et la couleur des cellules embryonnaires est légèrement plus claire, tirant sur le brun plutôt que le gris ou le noir.

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Les mâles continuent de chanter puissamment grâce à leurs sacs vocaux gonflés à bloc. Ils semblent en surnombre par rapport aux femelles qui les fuient à chaque tentative d’approche. Du coup, ils se défient entre eux, se combattent ou tentent de s’agripper les uns aux autres dans un concert de réprobations !

Grenouille verte de dos- David Melbeck

Comment reconnaître une femelle ? Elle ne possède aucune bouée de part et d’autre de la tête et ne gonfle jamais de bulle de chewing-gum !

Grenouille verte tête chant- David Melbeck

Créatures marines en eau douce

À quelques kilomètres de la maison, d’étranges créatures flottent entre deux eaux dans une profonde gravière de la vallée voisine. Des méduses ! Mais oui, c’est bien ça. Des dizaines de méduses d’eau douce voguent dans une eau transparente.

Méduse d'eau douce

Leur nom savant ? Craspedacusta sowerbii. L’étonnant animal est originaire d’Asie. Il a été sans doute introduit involontairement avec des plantes exotiques en Angleterre en 1880. Depuis, cette méduse semble s’inviter dans les eaux claires et stagnantes ou à très faible courant comme cet étang non loin de la Meuse. Peut-être aidée par les oiseaux aquatiques ?

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Leurs tentacules sont inoffensifs pour nous. En tout cas, nous l’avons touché volontairement sans aucune réaction urticante. En revanche, pour le minuscule plancton aquatique, rien n’est moins sûr. Cette observation date déjà de quelques jours, en pleine canicule. La forme “adulte” de ces méduses apparaît seulement en été quand la température de l’eau oscille autour de 25 °C ou plus.

Méduse d'eau douce – Version 2

Vidange

Novembre. De nombreux étangs sont entièrement vidés pour être pêchés. Leur surface encore récemment scintillante a laissé la place à des étendues de vase explorées par quantité d’oiseaux. Reste généralement un petit chenal en eau où les poissons se réfugient.

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D’énormes carpes communes, dépassant un demi-mètre, laissent entrevoir leurs écailles. Plus loin, un brochet gobe de l’air dans cet environnement boueux, si pauvre en oxygène.

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Dytiques carnivores

Mais quel est donc cet animal qui flotte à la surface de notre mare ? Incroyable. Le dytique bordé, un des plus gros coléoptères aquatiques, prend son repas en surface. Il mesure environ 3 cm.

Dytique borde predation triton palmé-David Melbeck

Sa proie est plus grande que lui si bien que l’insecte carnassier ne parvient pas à la maintenir au fond de l’eau. Ses mandibules coupantes ont saisi un triton palmé adulte. La scène est surréaliste et terrible à la fois : le dytique découpe l’amphibien en steak !

Dytiques predation triton palmé-David Melbeck

Un autre coléoptère nageur, peut-être Colymbetes fuscus, tente de prendre part au festin. Lui aussi est un prédateur dans la mare. Tous les deux sont parfaitement adaptés à la vie aquatique. Ils stockent l’air sous leur carapace comme un plongeur avec ses bouteilles. Leurs longues pattes aplaties sont munies de poils raides. Elles servent de rames et de gouvernail. Quant au pauvre triton venu dans l’eau pour se reproduire… il a visiblement trop tardé pour reprendre sa vie terrestre.

Gonflées les grenouilles !

Des coassements retentissent au fond du verger. Quatre grenouilles vertes se livrent à d’étonnantes activités. Trois rivaux envisagent de séduire la seule femelle de la mare.

Grenouille verte sacs vocaux - David Melbeck

Malgré les apparences, ceci n’a rien à voir avec un concours de chewing-gum pour se faire remarquer par Madame.

Grenouille verte sacs vocaux face - David Melbeck

Les grenouilles chantent en gonflant leurs sacs vocaux. Un de chaque côté de la tête. La belle femelle finira par choisir un des prétendants, peut-être le plus sonore ? Les coassements nuptiaux sont entrecoupés de cris territoriaux plus brefs, comme si les batraciens prononçaient « ouuuais » à l’américaine…

Brasse grenouille verte - David Melbeck

 

Brasse coulée grenouille verte - David Melbeck

Le tout ponctué de séances de natation pour se rapprocher du voisin, l’intimider ou le défier en combat singulier tels des gladiateurs. Avec leurs grandes pattes arrières palmées et musclées, les grenouilles vertes nagent la brasse coulée à la perfection.

Gladiateurs grenouille verte - David Melbeck

Chacun défend âprement son espace vital. Certains tentent de chanter si fort qu’ils en expulsent un jet d’urine. De là à imaginer que tout ce petit monde joue à celui-qui « pisse le plus loin », il n’y a qu’un pas… Puis, pour je ne sais quelle raison, tout s’arrête. Chacun retourne dans son coin jusqu’au prochain round.

Grenouille verte mare - David Melbeck